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(Dimanche 7 mars 2004)

Se réconcilier avec Kadhafi


Dans le contexte du retour en grâce de Tripoli sur la scène internationale, Paris s’efforce de rejoindre le mouvement afin d’éviter sa mise à l’écart du marché libyen émergent. Une délégation économique et commerciale française achève une visite à Tripoli et le fils du colonel Kadhafi sera reçu lundi soir par le président de la république.


Pas de quoi créer une apocalypse nucléaire, mais le geste est tout de même hautement symbolique de la volonté de Tripoli d’honorer sans tarder ses engagements et de son impatience à opérer son «come back» sur la scène internationale. Le porte-parole du conseil national de sécurité américain a annoncé le départ samedi d’un port libyen, à destination des Etats-Unis, d’un navire contenant la totalité (cinq cents tonnes) du matériel relatif au programme libyen d’armement nucléaire. La cargaison contient les fameuses pièces des centrifugeuses destinées à l’enrichissement de l’uranium ainsi que les missiles à longue portée dont disposait la Libye, et notamment cinq vecteurs de type Scud et leurs lanceurs.

Cet épisode entre dans le cadre des négociations secrètes menées l’année dernière entre la Libye, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, et révélées en décembre, pour obtenir de Tripoli qu’il se débarrasse de ses armes de destruction massive (ADM). Il intervient au lendemain de la déclaration des autorités libyennes indiquant à l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), vendredi, leur possession d’un stock de gaz moutarde (23 tonnes) et «des quantités significatives» d’éléments entrant dans la composition d’autres gaz, tels que le sarin. Ce stock sera détruit sur place et l’opération prendra plusieurs années, indique l’OIAC. Fin janvier, déjà, la Maison Blanche avait annoncé le transfert vers les Etats-Unis de 25 tonnes de composants destinés à la production d’ADM.

Dans le même registre, d’autres échéances sont programmées. Au cours de la semaine qui s’annonce, la Libye devrait notamment signer le protocole additionnel du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP). Ce document permettra aux inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) de se livrer, sans préavis, à des inspections des installations libyennes.

En échange de quoi, le retour en grâce de la Libye sur la scène internationale, et auprès de Washington en particulier, progresse à une vitesse spectaculaire, compte tenu des relations calamiteuses qu’entretenaient auparavant le colonel Kadhafi et ses ennemis intimes occidentaux. Les Etats-Unis viennent d’autoriser l’ouverture sur leur territoire d’une section d’intérêts diplomatiques libyenne, première étape à l’établissement de relations qui, tôt ou tard, aboutiront à un échange d’ambassadeurs. Aujourd’hui les sanctions imposées en 1981 n’ont plus cours et les entreprises américaines peuvent à nouveau travailler avec la Libye. Elles sont donc invitées à réactiver leurs réseaux en toute légalité. Enfin, la décision annoncée le 26 février a été formellement confirmée vendredi : les ressortissants américains peuvent à nouveau utiliser leur passeport pour se rendre dans ce pays, ce qui leur était jusqu’à présent formellement interdit. L’avis rendu par le département d’Etat continue toutefois de recommander la prudences aux citoyens américains se rendant sur place en rappelant que la Libye figure toujours sur la liste des pays soutenant le terrorisme, même si ce soutien «semble avoir diminué», indique le document.

Dans la perspective du retour officiel annoncé des Américains sur le marché pétrolier libyen (90% des recettes en devises du pays), un ministre de l’Energie a pris place dans le nouveau gouvernement de la Jamahiriya, annoncé samedi. Le poste était vacant depuis cinq ans en raison de la volonté du guide de la révolution de mettre l’accent sur la diversification de l’économie libyenne. Le nouvel interlocuteur des compagnies pétrolières occidentales sera dorénavant l’expert Fethi Omar ben Chetouane. Sa mission est de porter d’ici 2010 la production à 2 millions de barils jour, contre 1,4 actuellement, grâce à l’apport des capitaux étrangers.

La France soumise à rude concurrence

Les navettes d’officiels se succèdent à Tripoli. Une délégation de sénateurs démocrates américains a encore fait le voyage, la semaine dernière, pour assister à la réunion annuelle du parlement. L’organisation de défense des droits de l’homme Amnesty international y est allé au début du mois, elle aussi, et sa délégation y a été reçue par Mouammar Kadhafi qui l’a assurée qu’il appréciait ses commentaires et ses recommandations !

De son côté l’Union européenne avance à tâtons. L’intérêt de l’UE est certes d’intégrer complètement la Libye à ses projets de partenariat euro-méditerranéen, de se joindre au mouvement général et de percevoir la rétribution d’un rétablissement accéléré de ses relations politiques, économiques et commerciales avec Tripoli. Certains de ses Etats membres sautent d’ailleurs allègrement les étapes, comme en témoigne la récente visite sur place du président du conseil italien Silvio Berlusconi. Mais l’Europe fait également face à ses propres contraintes communautaires liées aux contentieux non-résolus parmi ses Etats membres et qui alourdissent la cadence générale. Sur ce terrain, Paris semble vouloir accélérer le mouvement. Mais ses relations avec Tripoli sont encore lourdement handicapées par les cicatrices laissées par les conflits anciens (la guerre du Tchad) et les derniers contentieux (l’attentat contre le DC-10 d’UTA). Dans ce nouveau contexte la France est soumise à rude concurrence et elle a du mal à revenir sur un marché libyen tant sollicité aujourd’hui. Elle s’est encore récemment vu préférer des avions de chasse européens Eurofighters à ses Rafales pour renouveler la flotte militaire libyenne.

La délégation française, conduite par le ministre du Commerce extérieur, en visite à Tripoli jusqu’à lundi, a donc pour mission de tenter de rattraper le temps perdu. François Loos effectue la première visite d’un ministre français sur place depuis celle du chef de la diplomatie, Dominique de Villepin, en 2002. Il est accompagné de nombreux patrons de grands groupes et de petites et moyennes entreprises. «Nous examinons des projets de partenariat dans les secteurs du pétrole, du tourisme, de l’électricité et du dessalement» de l’eau de mer, indique Mohammad Sayala, chargé de la Coopération au ministère libyen des Affaires étrangères, faisant part de satisfaction de son pays face à cette évolution des rapports entre les deux pays.

L’autre volet de se rapprochement franco-libyen aura lieu lundi soir à Paris, où le président de la république recevra le fils du numéro un libyen, Saïf al-Islam Kadhafi, président de la Fondation Kadhafi. C’est lui qui a été l’artisan, pour la partie libyenne, de l’accord d’indemnisation des familles des victimes de l’attentat contre le DC-10 d’UTA, en 1989. Un accord finalement conclu le 9 janvier et censé lever les derniers obstacles à la normalisation des relations entre les deux pays.

Georges ABOU
Article publié le 07/03/2004

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