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(Vendredi 15 octobre 2004)

La Libye, le nouveau pays en vogue


Muammar al-Kadhafi piaffait de récolter enfin les fruits de son «geste» de décembre dernier: renoncer à ses armes de destruction massives et à la recherche nucléaire. Opter pour la soumission, était-ce bien le bon choix? Tout semble aujourd’hui lui donner raison. Rarement Bédouin n’aura été si courtisé. Blair au printemps, Berlusconi en été, Schröder pour l’automne et Jacques Chirac cet hiver. Tripoli et Syrte — le fief du «Guide» — sont un vrai festival des quatre saisons. Il n’y est plus question que d’«amitié», de «coopération» et d’«ère nouvelle».
La tendance s’est réellement affirmée après le 11 septembre 2001. Le rapprochement avec les Britanniques et les Américains, alors en gestation depuis deux ans, est accéléré par la condamnation des attaques terroristes par Tripoli. Une véritable aubaine pour les Américains: un pays arabe, membre pérenne de l’«Axe du mal», décide de se ranger aux recommandations de l’Occident, légitime sa politique d’intervention en Afghanistan et s’inscrit en plus dans la lutte contre le terrorisme. En détruisant son programme d’ADM, la Libye légitime la guerre en Irak, rendant un fier service à l’administration Bush.

«Blair au printemps, Berlusconi en été, Schröder pour l’automne et Chirac cet hiver: Tripoli est un vrai festival des quatre saisons»

Un véritable pari pour le colonel, dont la volte-face lui est vivement reprochée depuis lors, côté arabe. «Traître», «vendu», celui qui fut un temps le chantre du panarabisme — sans jamais en récolter les fruits — achève de retourner sa veste dans l’incompréhension régionale. Mais désormais scellée: «La Libye a décidé de se séparer du Moyen-Orient», rappelait encore Seif al-Islam, le fils de Kadhafi, mercredi.
L’ex-symbole du terrorisme pouvait-il agir autrement? Kadhafi est confronté à un gros problème de survie de son système politique. Certes, les mouvements d’opposition en Libye sont très faibles. Ils sont globalement divisés et la grogne locale a été réprimée. Seules les tribus pourraient déclencher les hostilités, mais Kadhafi a réussi à les neutraliser en les institutionnalisant en conseils municipaux, les Chaabiyyates, dès 1998. D’autre part, le colonel a affaibli l’armée, potentielle force du changement, la doublant de comités révolutionnaires et bradant ses revenus.
Reste la guérilla islamiste, seule alternative crédible à son régime et contre laquelle il a particulièrement lutté entre 1995 et 1998. Si de nombreux combattants sont en prison, le mouvement reste fort car la cause — le renversement du régime — dépasse les clivages tribaux et géographiques.
Le déclenchement du jihad associé à l’isolement international ont donc asphyxié la Libye, traçant au Guide la voie à suivre: celle de l’extérieur. Une voie royale, semble-t-il. L’ex-créateur du Front des musulmans d’Afrique et défenseur de l’islam prouve qu’il avait tout à gagner, plutôt que de se réconcilier avec son opposition intérieure, à pactiser avec l’étranger. Il a fait de sa lutte contre l’islamisme le cheval de Troie de son retour sur la scène internationale et la Libye est aujourd’hui citée en «exemple».
Et le colonel profite de la bénédiction unanime de la communauté internationale alors qu’il est notoire que la Libye brille par ses violations quotidiennes des droits de l’homme. Son pays, convoité, est même offert aux enchères tandis que ses revenus proviennent exclusivement de l’exportation d’hydrocarbures. Il n’est plus question que de gazoducs, pipelines, forages et autres promesses souterraines chiffrées en milliards de dollars. La Libye est un pays d’avenir dont personne ne veut être mis à l’écart. Dès lors, Kadhafi, qui ne peut pourtant rien sans de gros investissements européens et surtout américains, a même l’arrogance de mettre à l’encan ses zones d’exploration pétrolières.
Ce qu’il faut maintenant espérer, c’est que la carte de la compromission avec l’ex-Etat voyou soit aussi le bon choix des défenseurs de la démocratie occidentale. Or, la Chine est un exemple d’échec flagrant de la stratégie consistant à miser sur le développement économique comme préalable à l’ouverture politique. Pour que la Libye devienne un contre-exemple, il faudrait que les richesses dégagées ne bénéficient pas qu’à une élite rentière du pétrole mais au peuple tenu à l’écart.

Kyra Dupont Troubetzkoy - Cheffe de la rubrique étrangère

 

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