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(dimanche 3 juillet 2005)

Le vrai visage de l'opposition


LIBYE - 3 juillet 2005- par ABDELAZIZ BARROUHI

Réunis à Londres les 25 et 26 juin, les mouvements politiques en exil ont arrêté une stratégie pour renverser Kaddafi : l'appel à la désobéissance civile.

La Conférence nationale qui a réuni à Londres, les 25 et 26 juin, plus de deux cents représentants de sept mouvements d'opposition libyens en exil - ainsi que des personnalités indépendantes - avait un air de déjà-vu. En novembre 1999, une rencontre semblable des opposants irakiens s'était également tenue dans un hôtel de la capitale britannique pour préparer la prise du pouvoir après le renversement de Saddam Hussein.
Cela a sans doute contribué à convaincre les exilés libyens qu'ils pourraient, eux aussi, mettre fin à trente-six ans de règne de Mouammar Kaddafi. La « Déclaration de consensus national » adoptée à l'issue de la réunion à l'hôtel Holiday Inn de Londres n'est pas non plus sans évoquer les précédents de l'Afghanistan et de l'Irak. Kaddafi devrait céder l'intégralité de ses pouvoirs politiques, militaires et sécuritaires et abandonner toute idée de léguer le pouvoir aux siens. Un gouvernement de transition gérerait les affaires du pays pendant une période n'excédant pas une année. La Constitution de 1951, qui a été suspendue après 1969 mais n'a pas été formellement remplacée, serait réactivée puis révisée par un comité élu avant d'être approuvée par référendum.

La comparaison avec l'Irak et l'Afghanistan s'arrête là. Il n'est pas question en effet de rentrer dans Tripoli à bord de chars étrangers. « Nous utiliserons des moyens pacifiques, déclare Ali Tarhouni (indépendant), vice-président de la Conférence et l'une des principales figures du comité de 21 membres désigné pour mener l'offensive dans les prochains mois. Nous comptons sur la désobéissance civile pour faire pression sur Kaddafi et imposer le changement comme cela s'est passé dans les pays d'Europe de l'Est et dans d'autres endroits du monde. Ce changement viendra essentiellement de l'intérieur de la Libye. »

Les grands axes d'action que se sont fixés les conférenciers consistent à agir auprès des pays occidentaux pour obtenir leur soutien moral et politique, à lancer une chaîne de télévision par satellite pour accompagner les protestations populaires contre le pouvoir et à engager d'éventuelles poursuites judiciaires auprès des tribunaux internationaux contre les dirigeants actuels pour crimes contre l'humanité.

En attendant, la stratégie adoptée à Londres n'était pas du goût de tout le monde. Ainsi, les Frères musulmans, principale force politique implantée en Libye, brillaient-ils par leur absence. Les représentants du mouvement ont bien participé aux consultations préparatoires, dont l'une a eu lieu le 18 avril à Washington. Mais ils entretiennent depuis l'an dernier un dialogue avec le pouvoir en place à Tripoli qui s'est soldé, le 20 juin, par une déclaration de la Fondation Kaddafi dirigée par Seif el-Islam. Pour le fils du « Guide », les quelque deux cents Frères musulmans emprisonnés en Libye sont des détenus d'opinion. Il faut donc les libérer. Cela a sans doute pesé dans la décision du mouvement de prendre ses distances par rapport à la Conférence. « Pour nous, l'essentiel est de poursuivre le dialogue afin d'aboutir à des réformes politiques », a déclaré Nasser el-Manee, porte-parole du mouvement.

Ce n'est pas du tout le point de vue d'Achour Echamess, opposant influent basé à Londres et qui n'a pas pris part à la Conférence, qu'il considère néanmoins comme une « étape qualitative ». À ses yeux, l'utilisation des seuls moyens pacifiques pour pousser au départ de Kaddafi est un voeu pieux. Mais la conférence pouvait-elle déboucher sur autre chose que cette plate-forme minimale ? La normalisation des relations de la Libye avec les pays occidentaux depuis le règlement des affaires Lockerbie et UTA et après que Kaddafi a renoncé à ses programmes d'armes de destruction massive a complètement changé la donne. Le soutien de Washington à l'initiative des opposants aurait probablement été plus franc et massif si la Libye était encore considérée comme un « État voyou ».

Le « Guide de la Révolution », pour sa part, est déterminé à briser le front de l'opposition en usant à la fois de la carotte et du bâton. Depuis janvier et jusqu'à la veille de la Conférence, ses émissaires ont sillonné les capitales européennes pour tenter de convaincre les exilés de rentrer au pays et de s'exprimer dans le cadre de ses Comités populaires. L'appel n'a pas eu un grand succès. Et une fois la Conférence ouverte, des manifestations ont été organisées par les Comités révolutionnaires à Londres et à Tripoli pour traiter ceux qui y prenaient part de « traîtres » et de « mercenaires » à la solde de pays étrangers.

Ces « traîtres » sont bien nombreux puisqu'on compte quelque 100 000 Libyens en exil dans des pays d'Europe, d'Amérique du Nord et d'Afrique. Pour la plupart, ce sont des hommes d'affaires, des ingénieurs, des membres des professions libérales et des intellectuels. Ils ont quitté la Libye au fur et à mesure de la mise en place du système de « pouvoir populaire » qui considère l'appartenance à un parti politique comme une « trahison » passible de la peine de mort.

Du début des années 1980 jusqu'en 1987, une politique de « liquidation » des opposants en exil, qualifiés par Kaddafi de « chiens errants », s'est soldée par l'assassinat d'une vingtaine d'entre eux dans les pays européens, tandis que plus d'une centaine d'exécutions ont eu lieu à l'intérieur du pays. Une organisation secrète, Al-Borkan (« le volcan »), sans doute liée à des mouvements d'opposition, a mené des représailles en 1984 en abattant plusieurs officiels libyens à l'étranger, dont un ambassadeur à Rome.

Jusqu'à ce jour, les partis d'opposition, à l'exception peut-être du Front national pour le salut de la Libye (voir l'encadré), sont faibles, certains d'entre eux ne dépassant pas quelques dizaines de partisans. Très personnalisés, ils sont profondément divisés. Une première tentative de coordination de huit mouvements sous la houlette du commandant Abdel Monem el-Houni, l'un des membres du Conseil de la Révolution qui a pris le pouvoir en 1969 et s'est réfugié par la suite en Égypte, a fait long feu. Une deuxième tentative en 1994 a connu le même sort. La troisième sera-t-elle la bonne ?

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